Lorsque nous prononçons les mots « abolition du servage », l’image d’un acte de justice grandiose qui a offert à des millions de personnes une liberté tant attendue surgit immédiatement dans l’imagination de beaucoup. En effet, le 19 février 1861 est devenu une date charnière dans l’histoire de la Russie, changeant à jamais le destin des paysans, qui constituaient la grande majorité de la population de l’empire. Cependant, comme c’est souvent le cas avec les événements historiques d’envergure, des complexités profondes se cachaient derrière une apparente simplicité, et une série de nouveaux défis et de fardeaux se trouvaient derrière la liberté promise. Pour le paysan russe, ce moment a marqué le début d’un chemin long et douloureux, qui combinait à parts égales des éléments de libération et un fardeau nouveau, parfois pas moins lourd.
1861 : Les portes de la liberté ou une nouvelle cage ? L’abolition du servage et ses conséquences inattendues
La grande réforme de 1861, proclamée par l’empereur Alexandre II, fut sans aucun doute un acte d’une importance historique colossale. Elle abolissait la dépendance personnelle des paysans envers les propriétaires fonciers, leur accordant des droits civils : désormais, les paysans pouvaient posséder des biens, conclure des contrats, faire du commerce, se marier sans la permission de leur seigneur, ester en justice et même changer de lieu de résidence. Ces changements étaient révolutionnaires pour une société qui avait vécu pendant des siècles sous la dépendance du servage. Les paysans, qui la veille encore étaient essentiellement une « propriété baptisée », se transformaient en citoyens juridiquement libres.
Cependant, cette « liberté » n’était pas absolue et s’accompagnait d’une série de conditions qui semblaient injustes et même trompeuses pour de nombreux paysans. Le paradoxe principal de la réforme résidait dans le fait que, tout en accordant la liberté personnelle, elle ne résolvait pas la question principale : celle de la terre. Les paysans obtinrent le droit de racheter leurs lots, mais jusqu’à l’achèvement des opérations de rachat, ils restaient dans un état de « dépendance temporaire ». Cela signifiait qu’ils continuaient à supporter les anciennes obligations (corvée ou redevance) au profit du propriétaire foncier, parfois même à un montant accru, tant que la transaction de rachat n’était pas finalisée. Cette période pouvait durer des années, et dans certains cas des décennies, engendrant mécontentement et déception.
Les historiens notent que pour de nombreux paysans, la réalité s’est avérée loin de leur conception de la « liberté ». Ils s’attendaient à ce qu’avec la liberté personnelle, toute la terre qu’ils cultivaient depuis des siècles leur soit transférée, et ce, sans aucun paiement. Les propriétaires fonciers, au contraire, cherchaient à conserver autant de terres que possible en leur possession et à obtenir une compensation maximale pour celles qui étaient aliénées au profit des paysans. En conséquence, les paysans recevaient souvent des lots plus petits que ceux qu’ils utilisaient avant la réforme. Ces « découpes » — terres qui étaient retirées des lots des paysans au profit des propriétaires fonciers — sont devenues l’un des problèmes les plus douloureux de la campagne d’après-réforme et une source de conflits constants. Imaginez un paysan qui a travaillé la terre toute sa vie, la considérant comme la sienne, et qui maintenant, devenu « libre », devait soit payer pour elle une somme exorbitante, soit se contenter d’un lopin de terre réduit, à peine suffisant pour nourrir sa famille. Pour beaucoup, c’était l’équivalent d’être simplement transféré d’une cage à une autre, certes plus spacieuse, mais toujours limitée.
De plus, la réforme n’a pas immédiatement modifié les modes de vie traditionnels. La vie patriarcale, la dépendance de la communauté, le faible niveau d’alphabétisation — tout cela persistait et influençait l’adaptation des paysans aux nouvelles conditions. La liberté ne venait pas sous la forme d’un bien-être immédiat, mais comme une opportunité d’efforts longs, parfois épuisants, pour organiser leur vie dans de nouvelles réalités économiques extrêmement difficiles.
Comment le paysan a obtenu la terre et ce qu’il a payé pour cela : Paiements de rachat et question foncière
L’aspect clé qui a déterminé la situation économique des paysans après 1861 fut le soi-disant « rachat ». Le gouvernement comprenait qu’il serait injuste de simplement confisquer la terre aux propriétaires fonciers et que cela provoquerait leur résistance. C’est pourquoi un mécanisme a été élaboré pour satisfaire les intérêts des deux parties, mais qui a en réalité pesé lourdement sur les épaules des paysans.
L’essence de l’opération de rachat était la suivante : le paysan obtenait la propriété de son lot de terre, mais devait payer au propriétaire foncier une certaine somme. Cependant, comme la plupart des paysans n’avaient pas de tels fonds, l’État agissait comme intermédiaire. Il versait immédiatement au propriétaire foncier 80 % de la somme de rachat (dans certains cas, jusqu’à 100 % pour les petits propriétaires), et le paysan, à son tour, devait payer annuellement à l’État les soi-disant « paiements de rachat » pendant 49 ans. Ces paiements comprenaient non seulement le montant principal de la dette, mais aussi les intérêts sur le « crédit » accordé par l’État. Selon les calculs des historiens, le montant total que le paysan finissait par payer dépassait considérablement la valeur marchande de la terre à l’époque.
Le montant du paiement de rachat était déterminé sur la base de la redevance d’avant la réforme que le paysan payait au propriétaire foncier. Autrement dit, si le paysan payait au propriétaire foncier, disons, 10 roubles de redevance par an avant la réforme, la somme de rachat était calculée de manière à ce que ces 10 roubles représentent un certain pourcentage (par exemple, 6 %) de celle-ci. Ainsi, la logique même du calcul des paiements était liée non pas à la valeur de la terre, mais au revenu foncier du propriétaire. Cela a conduit au fait que les paysans des provinces de terre noire, où la terre était plus fertile et la redevance plus élevée, payaient pour leur lot beaucoup plus que les paysans des provinces non noires, où la redevance était plus basse, même si la qualité de la terre pouvait être comparable, voire inférieure.
La question foncière était encore aggravée par le fait que les paysans n’obtenaient pas la pleine propriété des lots au sens moderne. La terre était souvent attribuée non pas à des familles individuelles, mais à la communauté paysanne (le « mir »), qui la répartissait ensuite entre ses membres. Cela créait des difficultés supplémentaires, limitant l’initiative individuelle et la possibilité de vendre ou de mettre la terre en gage. De plus, comme mentionné précédemment, lors des « découpes », les propriétaires fonciers retiraient souvent aux paysans les meilleures terres, qui avant la réforme faisaient partie des lots paysans, mais dépassaient les normes établies pour la région. Ces « découpes » pouvaient être stratégiquement importantes : par exemple, les forêts nécessaires pour le bois de chauffage, ou les points d’eau. Pour y accéder, les paysans devaient les louer au propriétaire foncier, ce qui augmentait encore leurs dépenses et leur dépendance.
Dans un contexte de croissance démographique et de fragmentation des lots entre héritiers, au début du XXe siècle, la taille moyenne du lot paysan est devenue critique. Le rendement est resté faible en raison des méthodes agricoles archaïques et du manque de moyens pour améliorer les terres. Tout cela a conduit à une « famine de terres » constante, à l’appauvrissement des paysans et à une tension sociale croissante dans les campagnes. Les paiements de rachat n’ont été annulés qu’en 1907 dans le cadre de la réforme agraire de Stolypine, mais à ce moment-là, ils saignaient déjà l’économie paysanne depuis près d’un demi-siècle.
La réunion du village et les ordres communautaires : Comment les paysans géraient leur vie sans propriétaire foncier

Après l’abolition du servage, lorsque l’administration directe des propriétaires fonciers a disparu, la principale forme d’autonomie dans le milieu paysan est devenue la communauté rurale, ou « mir ». La communauté n’était pas seulement un groupe de voisins vivant dans le même village, mais un organisme social et économique complexe qui régulait pratiquement tous les aspects de la vie des paysans. Si auparavant les paysans étaient sous la surveillance du propriétaire foncier et de ses régisseurs, désormais leur vie était régie par les décisions collectives de la communauté.
Le cœur de la communauté était la réunion du village, une assemblée de tous les chefs de famille du village. C’était le plus haut organe d’autonomie paysanne, qui prenait des décisions sur une grande variété de questions, de la répartition des terres et des impôts à la résolution des litiges domestiques et aux questions de réinstallation. Les décisions étaient prises, en règle générale, à la majorité des voix, et parfois « à l’unanimité », ce qui impliquait d’atteindre un consensus après de longs débats et persuasions. La réunion du village élisait ses fonctionnaires : le staroste rural, qui était l’organe exécutif de la communauté et le lien avec les autorités étatiques (de district et de canton) ; les collecteurs d’impôts, responsables du paiement ponctuel des impôts ; et les dizatski, qui remplissaient diverses tâches pour le staroste.
L’une des fonctions principales de la communauté était la redistribution des terres. Dans les conditions où la terre n’était pas la propriété privée du paysan, mais un lot attribué à la communauté, des « redistributions » étaient périodiquement effectuées — redistribution des terres arables entre les foyers paysans en fonction des changements dans la composition des familles (naissance de nouveaux travailleurs, départ de fils adultes, etc.). Ce système visait à assurer à chaque famille un accès égal aux moyens de production et à prévenir une stratification excessive des biens. Cependant, il avait aussi ses inconvénients : il n’incitait pas les paysans à améliorer la terre, car ils savaient que dans quelques années leur lot pourrait être transféré à quelqu’un d’autre, et il empêchait l’adoption de méthodes agronomiques progressistes, car toute la terre du champ communautaire était cultivée selon des règles uniformes (la rotation triennale était la norme).
Une autre fonction essentielle de la communauté était la responsabilité solidaire. Cela signifiait que tous les membres de la communauté étaient collectivement responsables du paiement des impôts et des paiements de rachat. Si un paysan ne pouvait pas payer sa part, les autres membres de la communauté étaient obligés de la couvrir. D’une part, cela servait de sorte d’assurance sociale et de soutien en temps difficiles, d’autre part, cela limitait l’initiative et imposait un fardeau supplémentaire aux paysans plus prospères, qui étaient obligés de payer pour leurs voisins moins fortunés. La responsabilité solidaire n’a été abolie qu’en 1903.
La communauté agissait également en tant qu’organe judiciaire et réglementaire. La réunion du village jugeait les petits litiges, les querelles, les conflits de propriété entre paysans, établissait des règles de conduite, veillait à la moralité. Elle pouvait condamner à des travaux communautaires, à une amende, voire à des châtiments corporels. Ainsi, la communauté remplissait le rôle non seulement de contrôleur économique, mais aussi de contrôleur social, maintenant l’ordre et les traditions dans le village.
Le rôle de la communauté dans la période d’après-réforme fait l’objet de débats parmi les historiens. D’une part, elle assurait la stabilité sociale, protégeait les paysans de la ruine totale, répartissait les risques et préservait les traditions collectivistes. D’autre part, elle freinait le développement de l’économie individuelle, empêchait la stratification des biens (ce qui, dans une économie de marché, aurait pu conduire à l’émergence d’agriculteurs efficaces), conservait des méthodes agricoles archaïques et se transformait souvent en un instrument de contrôle de l’État, qui y voyait un moyen pratique de collecter les impôts et de maintenir l’ordre.
De la misère à l’espoir : Voies de survie et de recherche d’une vie meilleure (travail saisonnier, migration, éducation)

Malgré les difficultés des paiements de rachat, la famine de terres et la persistance des ordres communautaires archaïques, le paysan russe n’était pas un spectateur passif de son destin. Face à une misère croissante et à des opportunités limitées sur sa terre, beaucoup cherchaient des moyens d’améliorer leur situation et d’assurer l’avenir de leur famille. Ces recherches ont conduit à l’émergence de nouvelles formes d’activité économique et de mobilité sociale, qui ont progressivement modifié le visage de la campagne russe et influencé l’ensemble de l’économie du pays.
L’un des moyens de survie et de gain les plus répandus fut le travail saisonnier. La liberté de mouvement, bien que limitée, permit aux paysans de quitter leurs villages pour une certaine période afin de gagner de l’argent dans les villes, dans les entreprises industrielles, dans les mines ou sur les chantiers de construction. Des milliers de paysans des provinces non noires, où la terre était peu fertile et les lots ne pouvaient pas nourrir la famille, partaient chaque année pour gagner leur vie. Ils devenaient des manœuvres, des débardeurs, des charpentiers, des maçons, des forgerons, des tailleurs, des cochers. Certains apprenaient des métiers plus complexes. Ces « saisonniers » se rendaient à Moscou, Saint-Pétersbourg, Kiev, Odessa, dans le Donbass, à Bakou — partout où l’industrie se développait et où la main-d’œuvre était nécessaire. L’argent gagné était envoyé chez eux, soutenant leurs familles et payant les impôts et les charges. Le travail saisonnier devint une source de revenus essentielle pour de nombreuses familles paysannes, ainsi qu’un facteur de développement de la population urbaine et de la main-d’œuvre pour l’industrialisation du pays. Il contribua également à la diffusion de nouvelles idées et connaissances dans les campagnes, car les « saisonniers » apportaient avec eux une part de la culture urbaine et de nouvelles relations sociales.
Une autre voie vers une vie meilleure fut la migration. Le gouvernement, conscient du problème de la surpopulation agraire dans les provinces centrales, encourageait la migration des paysans vers les périphédies peu peuplées de l’empire : en Sibérie, en Extrême-Orient, en Asie centrale. Des avantages étaient accordés aux migrants : transport gratuit, prêts pour s’établir, exonération d’impôts pendant plusieurs années. Ce fut un chemin semé d’embûches et de dangers. Le voyage était long et difficile, les nouvelles terres nécessitaient souvent d’énormes efforts pour être mises en valeur, le climat était rude et l’infrastructure inexistante. Beaucoup ne résistaient pas et retournaient, mais ceux qui restaient et réussissaient pouvaient obtenir en propriété de vastes lots fertiles, qui leur manquaient tant dans leur patrie. Le mouvement migratoire de masse s’est particulièrement intensifié au début du XXe siècle, devenant l’une des mesures clés de la réforme de Stolypine, mais il avait commencé bien avant cela, immédiatement après l’abolition du servage, lorsque les paysans ont ressenti la possibilité de se déplacer à la recherche d’une vie meilleure.
Enfin, l’éducation prenait une importance croissante. Malgré toutes les difficultés, la Russie d’après-réforme a connu une croissance lente mais constante du nombre d’écoles primaires, dont beaucoup étaient ouvertes à l’initiative des zemstvos — organes d’autonomie locale. Les écoles zemstvo donnaient aux enfants paysans des connaissances de base : lecture, écriture, arithmétique, fondements de la loi divine. L’obtention d’une éducation était une tâche difficile pour une famille paysanne, car chaque enfant était une force de travail, et son absence aux champs ou dans les travaux ménagers se faisait sentir. Cependant, la compréhension que l’alphabétisation ouvrait de nouvelles opportunités (par exemple, devenir greffier de canton, enseignant rural, ou simplement mieux gérer ses affaires et lire les journaux) incitait de nombreux paysans à envoyer leurs enfants à l’école. Le fils d’un paysan alphabétisé pouvait partir en ville, acquérir une profession et devenir ouvrier, voire petit employé, ce qui représentait un grand pas en avant sur l’échelle sociale. L’éducation est devenue l’un des facteurs les plus importants contribuant à la modernisation de la conscience paysanne et à l’émergence d’une partie nouvelle, plus active et consciente de la paysannerie.
Outre ces voies principales, les paysans cherchaient également des sources de revenus supplémentaires dans leurs villages : ils développaient des artisanats (fabrication de chaussures en écorce de bouleau, d’ustensiles en bois, de charrettes, tressage de paniers), faisaient du transport, élevaient du bétail pour la vente, louaient leurs lots à des voisins plus aisés. Tous ces efforts, parfois désespérés, témoignent de la résistance et de l’inventivité colossales du paysan russe, de son désir d’échapper à la misère et de construire une vie meilleure pour lui-même et ses descendants.
Conséquences sur des décennies : Comment la réforme de 1861 a jeté les bases de la nouvelle Russie

L’abolition du servage, malgré sa demi-mesure et la complexité de sa mise en œuvre, est devenue la pierre angulaire du fondement de la nouvelle Russie, changeant irréversiblement son développement économique, social et politique pour des décennies. Les historiens s’accordent à dire que sans cette réforme, la modernisation ultérieure du pays aurait été impossible.
Les conséquences économiques furent doubles. D’une part, la réforme a stimulé le développement des relations capitalistes dans l’agriculture. La possibilité d’une formation d’une couche de paysans aisés — les « koulaks » — qui utilisaient activement la main-d’œuvre salariée, louaient des terres et introduisaient des méthodes de gestion plus efficaces est apparue. D’autre part, la majorité des exploitations paysannes sont restées petites, peu productives et grevées par les paiements de rachat et les impôts. La famine de terres, aggravée par la croissance démographique, et la faible productivité sont devenues des problèmes chroniques. Cela a conduit à des famines périodiques et à des crises agraires qui ont clairement démontré la non-résolution de la question foncière. Les paysans, qui constituaient la masse principale des consommateurs, avaient un faible pouvoir d’achat, ce qui freinait le développement du marché intérieur et de l’industrie.
Sur le plan social, la réforme a conduit à la formation de nouvelles couches sociales. Outre les koulaks mentionnés, une classe nombreuse de journaliers est apparue — des paysans qui, n’ayant pas de lot suffisant ou de moyens de subsistance, étaient obligés de vendre leur travail aux propriétaires fonciers ou à des compatriotes plus aisés. La perte croissante de terres et la misère poussaient les paysans vers les villes, alimentant les rangs du prolétariat en formation. Ce fut une contribution significative à l’urbanisation et à l’industrialisation, mais aussi une source de vives contradictions sociales qui, à l’avenir, ont éclaté en événements révolutionnaires. La communauté, bien qu’elle ait conservé ses fonctions, a progressivement commencé à perdre sa cohésion sous la pression des réalités économiques et de l’individualisation. La stratification au sein même de la communauté s’est accrue.
Les conséquences politiques de la réforme n’ont pas été moins importantes. D’une part, elle a résolu le conflit le plus aigu et le plus archaïque — le servage, ce qui a évité une guerre paysanne potentiellement destructrice. D’autre part, elle a engendré de nouvelles contradictions. La non-résolution de la question foncière, la persistance des paiements de rachat et l’inégalité sociale des paysans (ils continuaient à être considérés comme une classe distincte, inférieure) sont devenues une source constante de mécontentement dans les campagnes. Les troubles paysans, bien que n’ayant pas l’ampleur de la révolte de Pougatchev, éclataient régulièrement dans tout le pays, surtout en période de mauvaises récoltes. Ce mécontentement, multiplié par les revendications de l’intelligentsia et des ouvriers, est finalement devenu l’une des forces motrices de la révolution de 1905, puis de la révolution d’Octobre 1917, lorsque les paysans ont finalement obtenu toute la terre dont ils rêvaient depuis si longtemps, mais dans des conditions socio-politiques complètement différentes.
Ainsi, la réforme de 1861, tout en étant un acte de libération, a simultanément jeté les bases d’une série de problèmes et de conflits qui ont déterminé le développement de la Russie pendant les décennies suivantes. Ce fut un pas vers la modernisation, mais un pas inachevé, qui a laissé derrière lui de profondes cicatrices sociales et des questions non résolues qui ont finalement conduit à l’effondrement de l’empire. La vie du paysan russe après l’abolition du servage est une histoire non seulement de l’acquisition de la liberté personnelle, mais aussi d’une lutte longue, souvent tragique, pour la survie économique et la justice sociale, une lutte qui s’est poursuivie jusqu’au milieu du XXe siècle.
